ㅡ histoire
Il y a des gens comme ça qui sont nés pour ne jamais se faire remarquer.
Pour vivre dans l'ombre des autres.
Pour continuer sa mission d'être humain au mieux possible, sans faire de folie. En restant simple. Banal. Comme les autres.
Il y a des gens comme ça, oui. Et parmi eux, il y a eu Orphée. Dans le fond, il aurait préféré rester un individu parmi tant d'autres, ignorer les autres et faire son propre chemin comme il l'a toujours si bien fait.
Né à Paris, en France, non loin de Bercy, il fut un bébé qui naissait au même jour qu'un autre, il n'avait pas d'histoire, ses parents étaient simples. Sa mère avait arrêté son travail de professeur de sciences pour s'occuper de son premier et dernier enfant tandis que son père, lui, n'était qu'un petit gendarme qui gagnait modestement sa vie.
Déjà tout petit, il ne se faisait pas voir. C'était un fantôme, une illusion, un meuble parfois. Toujours assis dans le fond de la salle, l'air perdu, fixant le ciel par la fenêtre, le menton calé dans le creux de la main et le regard enfoui dans des songes profonds. Fut un temps où les instituteurs le reprenaient à l'ordre, mais ils ont fini par s'y faire : Orphée n'est pas du genre à suivre. Pourtant, rien de tout cela annoncerait qu'il serait un enfant turbulent, troublé et instable psychologiquement par la suite. Non, sa vie n'annonçait rien de tel.
Elle semblait toute tracée.
Et pourtant.
Peut-être sa famille et ses amis auraient dû être là dès le début, le protéger lorsqu'il le fallait même s'il s'y refusait. Peut-être que ses proches auraient dû le serrer dans ses bras avant qu'il ne sombre, et plutôt que d'imbiber de larmes son oreiller, il aurait fallut que ça soit leur épaule.
Mais voilà, Orphée, c'est Orphée. Il a toujours été ce petit garçon sensible, émotif. On a longtemps cru qu'à son adolescence il allait grandir, se raffermir. Erreur.
Arrivé à l'adolescence, il a juste... Commencé à se donner un genre ? Toujours agressif, toujours en train de ronchonner dans son coin. Puis dans le fond, il était juste en verre. Il pouvait être brisé d'une minute à l'autre.
Mais ça, tout le monde l'ignorait.
Alors tout le monde s'est rué sur lui.
•••
L'air était froid. C'était l'hiver, déjà.
Le temps passe à une vitesse folle. Il glisse entre les doigts.
On en rate des morceaux.
Peut-être les plus importants.
Il était là, assis, toujours ce même air perdu et ses traits durs, sur les marches devant le lycée. L'écharpe autour du cou, elle lui cache la bouche, il claque des dents, il contracte ses muscles, fronce les sourcils et essaye d'ignorer les conversations autour de lui. Il attend l'ouverture, il stresse un peu pour son bac, il ne sait pas trop quoi faire, en fait, parce que, dans le fond, les études, ça n'a jamais été sa priorité.
«
Alors comme ça, t'es homo, Orphée ? »
Dans un sursaut, son faciès se tourne vers son interlocuteur.
Un visage familier, enfantin, un jeune garçon aux cheveux blonds et aux grands yeux bleus. Il était dans le même club d'escrime que lui. Il l'avait déjà aperçu. Il l'avait même pris pour une fille par moment à cause de sa voix soyeuse et de ses traits fins. Haussant un sourcil, semblant froissé par la question – ce qui était le cas, il lance au plus jeune.
«
Je tape pas là-dedans moi, allez dégage sale mioche. »
Oui, pour lui, les secondes sont tous des mioches.
Fourrant les mains dans ses poches, il soupire, il s'écarte, se relève finalement, fais quelques pas, esquive le regard innocent de l'autre garçon avant de se mettre à rougir vivement. Serrant les mâchoires et prenant son air le plus sauvage possible, il hausse le ton.
«
Bordel mais tu vas me regarder longtemps comme ça ?! »
«
N-Non ! C'est pas ça. C'est juste que... T'es pas homo ? »
Il déteste cette question.
Il déteste ce mioche. C'est quoi son nom, déjà ? Ah oui, Lucas.
«
Mais tu veux VRAIMENT que j'te casse la gueule devant tout le monde ! Putain d'enfoiré ! »
Et c'est sur ces mots poétiques que notre héros tourne les talons, sac à la main, le pas décidé. Finalement, il ignore les cours, il ignore la société, il reprend son chemin, seul, comme toujours. Les trottoirs sont glissants, les gens marchent tout doucement, ça l'énerve. Il ne peut pas se hâter davantage.
«
Attends ! Orphééée ! »
Avant même qu'il puisse se retourner, le bras du petit se retrouve à encercler celui du plus âgé, se voyant bifurquer dans le coin de la rue, bousculant maladroitement quelques absents. La tête blonde baisse la tête, a les joues et les oreilles en feu.
«
C'était pas pour me moquer de toi !
Je.
Je t'aime. »
Il... Quoi ?
Le visage de l'adolescent se décomposa, incapable de pouvoir répondre, la bouche à moitié ouverte et les yeux comme ceux d'une carpe. Ils reflétaient toute son incompréhension, et zeus qu'il l'était ! Orphée n'avait jamais été ce genre de gars à se faire remarquer, dont on tombe amoureux. D'ailleurs, il ne l'avait jamais vraiment été parce qu'il s'est toujours trouvé contre nature à... Eprouver de l'attirance uniquement envers les hommes.
Mais tout au long de son existence il a tenté de le nier, d'éviter la vérité, de se tourner vers les jeunes filles alors que ça le dégoûtait, simplement. Cependant, voir Lucas ouvrir son cœur de cette manière le rendait toute chose, le visage incroyablement écrevisse à son tour, il balbutiait quelques mots, ne pouvant détacher ses mirettes noisettes du blondinet.
«
... Hein ? »
Lance-t-il haut et fort avant de se reprendre.
Le plus jeune baisse la tête, triture ses doigts, cherche un endroit où esquiver le regard de l'homme qu'il aime. Mais Orphée reste planté là, comme un abruti. Et puis, bien qu'il fut hésitant, il reprend son ton sec, reculant d'un pas, puis deux.
«
Arrête de fumer mec. »
Et sur ces mots, il est parti.
Abandonnant le pauvre Lucas.
Disons que la question de l'homosexualité n'avait pas encore de réponse pour Orphée. Peut-être était-il passé à côté de son Eurydice.
•••
La vie, c'est devenu l'enfer.
Les gens sont devenus des poisons.
D'une façon où d'une autre, ses camarades de lycée ont fini par suivre la rumeur sur Orphée : il est homosexuel. Il est donc une victime parfaite. Lucas a souvent essayé de reprendre contact avec lui, de s'excuser, mais l'adolescent n'en a fait qu'à sa tête et s'est contenté de l'ignorer ou tout simplement de l'envoyer balader. Ces actes avaient sans aucun doute remonté jusqu'à la grande terreur qu'est le frère aîné de Lucas : Sébastien. Sébastien, frangin protecteur et connard à ses heures perdues, homophobe sans l'ombre d'un doute.
Tout doucement les bruits s'écoulaient dans les couloirs de l'établissement et notre héros devint la cible de tous les regards. Il n'avait pas tout de suite compris, jusqu'à un certain jour.
Il marchait si tranquillement, son sac à l'épaule, la démarche nonchalante et le regard quelque peu perdu. Il était seul à ce moment là, ou du moins, en partie. Il rejoignait la prochaine salle. Il ne mangeait jamais le midi. Il ne voulait pas perdre plus de temps.
Et puis, soudainement, quelque chose eut pincé son fessier. Dans un léger cri de surprise, il finit par se retourner avec vivacité avant de découvrir Sébastien qui se dressait face à lui – un peu plus grand d'ailleurs. Il n'avait rien en commun avec Lucas, c'était un fait.
«
Saluuut Orphée. »
«
... Dégage tes mains. Ou je te fracasse la mâchoire. »
«
Oh. Pardon.
Tu as cours là, mon petit littéraire ? »
«
Dégage Sébastien ! »
Avait-il lancé de sa voix grave avant de le repousser vivement.
Rien n'y faisait, l'autre revenait de suite à l'attaque, plaquant ses deux mains contre les épaules larges d'Orphée. Doucement ses doigts coulèrent le long de son torse avant de mourir entre ses cuisses, pressant tendrement cette partie, qui arracha un gémissement léger à l'adolescent qui ne se débattait à moitié.
«
Q-qu'est-ce que tu fais là... ? »
«
Tu ne le sens pas ? Attends... Je vais t'aider. »
Un large sourire pervers se dessinait sur les lippes de son... ennemi. Qui ne l'a jamais vraiment été jusqu'à ce jour. Sébastien c'était un gars de la filière scientifique, il l'avait croisé par moment aux championnats d'escrime car il supportait Lucas. Rien de plus. Rien de moins.
Pourtant, Orphée se débattait à peine. Il aurait dû.
Un léger coup de tête de la part de l'autre garçon et une bande de joyeux fanfarons débarquait de nulle part. Les paupières s'écarquillaient en découvrant une dizaine de types de son âge autour de lui comme des vautours jusqu'à ce qu'il commence à le maintenir par les bras, les jambes, les hanches. Orphée se débattait, hurlait. Pourquoi ce couloir était-il si vide ?
Sa voix résonnait.
On entendait ses muscles se débattre, sa respiration haleter et son cœur tambouriner. Une fois maîtrisé, Sébastien en profita pour défaire avec joie – étant donné qu'il riait très fort – la ceinture et les boutons du pantalon de la victime avant d'abaisser ce vêtement avec vivacité.
«
Hé, les mecs, regardez-moi ça... »
«
Oh putain ! Neeski a la trique ! »
«
Quel gros pédé... »
Des rires, des rires trop puissants.
Le corps à moitié nu d'Orphée fut abandonné sur le carrelage encore froid. Il regardait avec dégoût et peur les garçons qui le regardaient. Qui en riaient. Pourquoi.... ?
Pitié, pourquoi... ?•••
Depuis cet incident dans le couloir, les gens le regardaient de travers.
Il n'osait plus vraiment aller en cours. Croiser leurs regards. Pourtant, Orphée ne s'est jamais plaint à qui que ce soit. Il encaissait les moqueries, les insultes, et même quelques coups. Chaque soir il s'endormait en se disant que c'était peut-être la dernière fois qu'il sentirait la chaleur de ses draps contre lui, parce que demain est un nouveau jour qui l'amènerait peut-être à sa perte.
Depuis des mois il se lève le cœur serré. Le corps tremblant, les larmes aux yeux. Et pourtant, ces larmes, il les ravale. Rien n'a changé chez lui. Il quitte l'appartement en saluant sa mère avec un petit sourire, rentre le soir et se pose dans sa chambre, dîne et discute avec son père, regarde des films en sa compagnie.
Tout est si simple.
Tout est une si belle et parfaite illusion.
Par chance, la seule chose qui l'empêchait de couler : l'escrime.
Ce sport, ça n'était rien pour certain mais c'était tout pour lui. Aujourd'hui, c'était un entraînement. Mais c'était ce qu'il lui fallait. Un moyen de se dépenser, d'évacuer le stress de la journée.
Face à face avec son adversaire, les deux individus firent la révérence comme deux loyaux soldats, reculant d'un pas, puis deux, trois, quatre, cinq. Une fois à distance égale, ces guerriers se mettent en position. Un pied vers l'avant, la main sur la taille, le dos droit et l'allure fière.
Le match est lancé.
cling cling cling font les armes blanches s'entre choquant. Les spectateurs – ou du moins autres membres du club et parents - observent ses deux hommes se battre sous leur masque. Orphée a toujours excellé en ce sport. Peut-être pour ça qu'il aime bien. C'est un moyen pour lui de ne pas se sentir trop faible.
Enfin, peut-être avait-il trop vite parlé.
Le garçon en blanc s'effondre au sol, face à lui. Il ne bouge plus. Dans l'incompréhension, notre héros retire son masque, son visage plein de sueur avant de se rapprocher du corps. Ce dernier se mouve avec violence et il ne lui faut qu'une seconde à peine pour reconnaître une crise d'épilepsie. Son cœur bat la chamade, tout est au ralentit. Les cris des parents, des autres adolescents. Les genoux d'Orphée heurtent le sol, il se rue sur son ancien adversaire et surtout partenaire avant de retirer son casque et le mettre sur le côté, tremblant, affolé.
«
LUCAAAAAAAS ! »
Cette voix.
Sébastien.
L'enfant contre lui.
C'était Lucas.
Il n'avait rien dit.
Il était maintenant là, en train de souffrir devant ces pauvres âmes incapables. Les gens pleurent, appellent les secours. Et puis, Orphée est là. Il a envie de vomir tout ce que son estomac contient, ses yeux sont rouges et son visage est livide. L'aîné se jette sur le blondinet torturé.
«
Lucas, Lucas ! Non bordel non !! »
Lucas Nivral a quitté ce monde après avoir combattu contre l'homme qu'il aimait.
•••
«
Ca fait combien de temps que tu ne sors pas de ta chambre, Orphée ? »
«
Trois semaines. »
«
Tu as mangé ? »
«
Je ne me souviens plus. Et toi, Cléa ? »
«
Devine ! »
«
Un mois ? »
«
Plus. »
«
Trois mois ? »
«
Plus. Un indice : ça se compte en année. »
«
... Un an ? »
«
Encore plus. Trois et demi. »
«
Mais... Pourquoi ? »
«
Parce que l'humanité est un poison. Tu le sais, tu l'as subi. »
«
Qu'est-ce que tu fais, dans ta chambre, depuis trois ans et demi alors, Cléa ? »
«
Je souffre trop. »
«
Moi je t'aime. »
«
*rire* Tu es gay. »
«
Ca n'empêche rien. »
«
Alors c'est ça... On va rester tous les deux devant nos écrans, nos micros scotchés devant la bouche ? On va entendre nos voix jusqu'à la fin des temps, sans jamais se voir, sans jamais connaître réellement l'autre ? Je sais pas pourquoi tu es venu sur ce tchat ni pourquoi tu es venu me parler. »
«
Parce que je n'avais plus personne. »
«
Tu n'as plus personne, c'est vrai. »
«
Est-ce que tu connais un remède contre la tristesse ? »
«
Si je le savais, je ne serai pas en train de me tuer dans ma chambre. »
«
Tu es en train de te couper là ? »
«
Non. Je suis juste assise. Dans le noir. Je parle avec toi. »
«
... Il n'y a vraiment rien à faire... ? »
«
... Tu sais... J'ai entendu parler d'un endroit magnifique. Un endroit où l'on peut recommencer à zéro. »
«
Où c'est ? »
«
Je ne sais pas. Je pense qu'il faut le vouloir très fort. »
«
De quoi tu me parles encore... Je comprends rien. »
«
Orphée, je t'en supplie. Il faut que tu y ailles, que tu te sauves. Pour moi, il est déjà trop tard. »
«
Hein ? Mais. Attends. Cléa ? Allô ? Cléa ? Réponds ! Cléa ? Allô... ? »
/FIN DE LA CONVERSATION VOCALE/
Puis un jour, comme ça.
Orphée a disparu.
Il a rencontré son lapin blanc. Et enfin Etoh est apparut devant lui. Comment expliquer ses sentiments étranges qui émanent de lui sans arrêt ? La peur, l'excitation, l'envie, la tristesse, la mélancolie... Qui sait.