Tchou tchou. Le train, il entre en gare et il fait tchou tchou. T'es soudainement nostalgique, la main qui campe sur le bord de la lucarne dans laquelle tu aperçois cette grande gare peinturlurée que tu espérais ne jamais revoir de ton vivant. Elle est grande. Vraiment. Elle est géante. Et elle est toute verdoyante, en fait, elle est belle. Puis le train il s'éloigne de toi, il disparaît dans la gare et hop, tu ne le vois déjà plus. Quoi, mais tu n'es pas dans ce fameux train ? Non. Bien évidemment que non. D'ailleurs, ce train, tu n'y as jamais posé un seul pied. Tu ne l'as jamais pris, pourtant, t'as fait pas mal de voyage. Non non, toi tu t'éloignes de cette gare dans ta saucisse automatisée qui te conduit en ville. Bien sûr que tu n'es pas dans ce train. Ce train, il est pour les déportés. Il est pour tous ces humains qui rejoignent Etoh chaque jour. T'as toujours été un peu curieux, souviens toi, petit, tu regardais cette gare de loin. T'osais jamais t'y approcher, t'avais un peu peur. L'inconnu, c'est bien connu, c'est effrayant. Tu regardais cette gare briller avec des étoiles plein les yeux, t'étais petit, t'étais naïf et t'étais surtout très curieux. T'es toujours curieux aujourd'hui, mais tu ranges confortablement cette curiosité malsaine dans un coin pas très important de ta caboche.

Et d'ailleurs la saucisse automatisée s'est arrêtée. Le conducteur te regarde. Bon, vous bougez a-t-il l'air de vouloir dire. Tu finis par bouger, justement. Tu donnes ta monnaie au brave conducteur, tu remercies ce dernier tu claques doucement la porte de la saucisse qui, dorénavant, est bien loin. Tes semelles sont ancrées dans le sol. Tu te tiens de marbre. Le dos droit, la poitrine bombée, mais tu crois quoi ? Tu crois que tu vas livrer une bataille, ou quoi ? Tu penses que tu vas avoir une quelconque revanche sur un passé houleux et douloureux. Arrête de rêver. T'es revenu à Verces uniquement pour une petite livraison d'une couronne de fleurs, ni plus ni moins. Ce qui te paraît être un obstacle n'est rien qu'une livraison. Alors reprends un peu tes esprits. Tu sais, ceux qui te maltraitaient à l'époque, ils doivent t'avoir oublié. Ou alors ils sont morts pour les plus vieux. M'enfin, t'avances. Un pied après l'autre. Tu franchies le premier bâtiment. Le second bâtiment. Le troisième. Plus rien ne peut t'arrêter ! Ta première victoire sur Verces, c'est aujourd'hui ! Euh … attends. C'était quel bâtiments, déjà.

Tu sors le ticket de livraison. Ah, oui, effectivement. Une ruelle bizarre, avec un nom bizarre et des lanternes toutes bizarres aussi. Voilà, ça y est, c'est là. Tu balances timidement ton regard sur la fin du trottoir, là-bas. Au tournant, tu t'en souviens comme s'il s'agissait d'hier, il y a l'orphelinat qui t'a servi de toi durant les seize premières années de ta vie. Tu soupires, anxieux. Tu vas arrêter d'y penser, c'est inutile, tu vas plutôt sonner et « Bonjour, les fleurs de Papu le Papple le Papy, j'ai une livraison pour vous ! » dis-tu avec un sourire forcé, gêné. Aucune réponse. Tu attends. Longtemps. Tu hésites à sonner une seconde fois. Mais si personne ne répond la première fois, c'est qu'il n'y a personne. T'as pas fait tout ce chemin pour rien, quand même. Tu laisses une carte de visite avec l'adresse et le numéro de ta boutique. Tu penses rester dans le coin jusqu'à ce que le commandeur daigne te rappeler.
Ouais, aujourd'hui, c'est une rude journée, Papuche.

Infiltration. Discrétion. Ninja ? Shogun. Infiltration. Parfois, Shady se sent comme Lara Croft mais en moins sexy. Spiderman en moins classe. Sherlock Holmes en moins futé. La Neen se balade. Elle guette. Elle se cache. Puis guette de nouveau. Cette maison n'est point la sienne. À qui est-elle ? Qu'importe ! On ne le sait pas, on ne le sera pas. On s'en fiche d'ailleurs. Shady cherche quelque chose. Mais le soucis c'est qu'elle a oublié ce que c'était. C'est sympa d'être idiote; surtout quand on est dans la panade. Accrochée à la rambarde d'un escalier, la rouquine se maudissait. Crétine, crétine. Remémore toi. De la nourriture ? Non. De... QUOI ? ... Oui. OUI. Oui ça y est. De la soie. Douce soie. Précieuse.

Soudain, son coeur bondit. Bondit, bondit, jusque... Bref. Son coeur fait un bond. Une sonnerie à percer le calme de la maison, endormie jusqu'à présent. Une odeur s'infiltre à travers un fin espace entre la porte et le mur. Muguet. Shady saute, écoute. Elle aime bien tout savoir, de toute façon. Tout connaître. D'ailleurs, ce qu'elle fait, là tout de suite, c'est pas bien du tout. La vilaine. Ah ? hein ? Oui. Elle s'en fiche.

« Bonjour, les fleurs de Papu le Papple le Papy, j'ai une livraison pour vous ! » dit une douce voix veloutée.

Mais personne ne répond. Vide. Blanc. Alors une carte passe sous la porte. Shady s'en approche, curieuse. Papuche... Fleurs... Un numéro. Bon. Ce monsieur vend des fleurs alors. Des fleurs qui sentent bon. La rouquine aime ce qui sent bon. Elle aime aussi les fleurs. Parce que c'est joli, vivant, coloré. Surtout le lilas. Bref, égarement. Soudainement éprise d'une envie, elle s'approche d'une grand téléphone. L'épreuve du siècle. Il allait falloir être rapide... Pour composer le numéro. Mais notre ninja roux peut le faire. Alors... Elle le fait. Essouflée, elle parle de sa petite voix.

« B-b-b-b-b-b-b-booNJOUR ! Vous êtes euh... euh... euh... Monsieur L'Papuche, non, hein, oui, c'est ça ? Le m'sieur qui sent bon ? Bon. Bon. Euh. J'ai. Euh. Reçu vos fleurs. Enfin pas exactement. Mais. C'est que. Vous... OU IL EST VOTRE MAGASIN ? »

La petite est timide, parce qu'elle a peur de se faire griller. Elle veut pas courir encore, c'est trop épuisant. Mais surtout, parler dans un téléphone qui fait trois fois son petit corps, c'est dur. Et que va penser le msieur aux fleurs ? Arrrh tant de suspens !